L’intelligence artificielle s’invite en F1

Les écuries commencent à utiliser des techniques d’intelligence artificielle pour améliorer les performances de leurs véhicules avant et pendant la course. 

Les pilotes de Renault Sports entrent au garage pendant les essais libres au Grand Prix du Canada. Photo : Maxime Johnson.

Dans le garage de l’écurie Renault Sport au Grand Prix du Canada de Formule 1 à Montréal, plus d’une dizaine d’ingénieurs ont les yeux rivés sur des écrans. Alors qu’une bonne partie suit les résultats de la première séance d’essais libres et attendent l’arrivée au puit des pilotes Nico Hulkenberg et Daniel Ricciardo, d’autres analysent une plutôt des centaines de lignes de données diffusées en temps réel par les voitures roulant à plus de 200 km/h sur le circuit Gilles-Villeneuve.

« Il est important de savoir si quelque chose sur la voiture ne réagit pas comme on s’y attend », explique Pierre d’Imbleval, responsable des technologies de l’information chez Renault Sport. Un ingénieur peut détecter un problème à distance, comme une pièce trop chaude, mais avec des informations provenant en temps réel de 200 capteurs par voiture, ceux-ci ne peuvent pas tout analyser. Pour un observateur extérieur, un simple coup d’œil à un écran qui n’affiche qu’une petite partie de ces informations a d’ailleurs de quoi donner mal à la tête.

C’est là que l’intelligence artificielle commence à changer la donne pour les écuries. « Ça fait longtemps qu’on recueille ces informations, mais ce qui est différent maintenant, c’est qu’on peut les analyser en temps réel, pendant la course », note Pierre d’Imbleval.

En comparant les données recueillies avec ce qui avait été prédit par un modèle informatique, les algorithmes déterminent si une mesure représente une anomalie. Il est normal qu’une pièce soit chaude pendant une course, mais il peut être anormal qu’elle le soit autant à mi-parcours. « Si c’est le cas, on pourrait par exemple demander au pilote d’être moins agressif pendant un certain nombre de tours, pour que les températures retombent dans une fenêtre acceptable », précise le responsable des technologies de l’information.

Un ingénieur de Renault Sport surveille les données provenant en temps réel de l’un des 200 capteurs situés sur la voiture de Formule 1. Photo : Maxime Johnson.

L’analyse d’anomalies pendant les courses n’est pas la seule utilisation de techniques d’intelligence artificielle chez Renault Sport, mais c’est pour l’instant la plus importante. « On n’est qu’au tout début de l’utilisation des sciences des données en F1. On ne sait pas ce que font les autres écuries, mais dans l’ensemble, c’est un sujet très important depuis environ deux saisons seulement, estime Pierre d’Imbleval. Je crois qu’avec le temps, cela va se décliner à toutes les zones de la voiture. »

La transition ne se fera toutefois pas du jour au lendemain. « Nous avons une petite équipe, qui en a déjà beaucoup sur les bras », rappelle-t-il. Puisque la course automobile représente un milieu très précis, l’écurie doit aussi utiliser des outils généralistes ou qui ont été conçus pour d’autres industries, comme les services d’apprentissage machine Azure et un logiciel conçu à la base pour les financiers qui effectuent des transactions à haute fréquence.

Le responsable de la gestion des partenaires chez Renault Sport, Luca Mazzocco, imagine déjà pour sa part à quelques endroits où l’intelligence artificielle pourra être déployée. « Nous recueillons 60 téraoctets de données lorsque nous faisons des tests dans les souffleries pour mesurer l’aérodynamisme. Pour l’instant, ces données sont analysées d’une façon traditionnelle, mais l’intelligence artificielle pourrait nous permettre d’en extraire des informations importantes », explique-t-il.

Renault Sport élabore aussi en ce moment un jumeau numérique pour ses voitures, une version entièrement informatisée qui sera en tout temps identique à la voiture physique. Le jumeau numérique pourra notamment être utilisé pour effectuer des tests et des prédictions à l’aide de techniques d’intelligence artificielle. Un algorithme pourrait ainsi prévoir qu’un choc vertical subit par la voiture dans une course risque de réduire la durée de vie d’une pièce, par exemple, ce qui incitera les ingénieurs à la surveiller de plus près.

Travailler avec des bâtons dans les roues

Les ingénieurs dans le garage au circuit Gilles-Villeneuve reçoivent beaucoup d’information, grâce aux 200 capteurs répartis dans chaque véhicule, qui observent par exemple la température, la pression et l’accélération. Ils pourraient toutefois en recevoir beaucoup plus. Tout le processus est en effet archi contrôlé par la Fédération internationale de l’automobile (FIA). Le flux d’information est diffusé des voitures à l’écurie à une vitesse de 8 mégabits par seconde et seuls 1200 « canaux de mesure » (une valeur combinant les données de deux capteurs, par exemple) sont permis.

La quantité de données transmises n’est pas le seul bâton mis dans les roues des ingénieurs par la FIA. La forme des ailes, le type de processeur utilisé dans les centres de données, les caractéristiques physiques des souffleries pour mesurer l’aérodynamise des véhicules : plein de règles, souvent arbitraires, sont imposées, dans le but notamment de limiter les investissements permis et d’augmenter la parité entre les écuries.

« C’est aussi une façon de forcer une part d’inconnu dans le sport », estime Pierre d’Imbleval. Sans aucune limite sur les données recueillies et transmises entre le véhicule et le garage, les écuries pourraient pratiquement créer des voitures téléguidées parfaites. « Ce n’est pas ce que l’on veut », ajoute le responsable des technologies de l’information chez Renault Sport.

En partie à cause de ces limites imposées, Pierre d’Imbleval ne considère d’ailleurs pas qu’il travaille avec des mégadonnées, qui vont souvent de pair avec l’intelligence artificielle. « On ne recueille que 35 giga-octets de données en une fin de semaine. Ce n’est pas énorme. Nous ne faisons pas du big data, nous faisons du fast data », lance-t-il.

À cet égard, le travail des ingénieurs dans le garage ressemble ainsi à celui des pilotes sur la piste. Que l’on soit derrière le volant ou derrière un écran, ce qui prime avant tout, c’est la vitesse.