Ma semaine dans le métavers

Une conférence de presse, une entrevue, un concert et un lancement : notre chroniqueur techno accumule depuis quelques jours les sorties dans le « métavers ». Est-ce que le futur est déjà parmi nous ? Pas tout à fait. 

Capture d'écran : Maxime Johson / montage : L'actualité

Leandro Rolon est architecte et entrepreneur. Au fil des ans, il a conçu différents immeubles résidentiels et commerciaux, surtout en Asie. Sa dernière création, que j’ai visitée en sa compagnie, est l’une de ses plus impressionnantes. Cette résidence de luxe moderne est composée d’un espace public au rez-de-chaussée et d’une section privée à l’étage. C’est ici qu’il compte recevoir sa famille et ses amis pour avoir des discussions intimes, mais aussi des clients pour leur montrer les modèles des autres maisons qu’il prévoit concevoir et — c’est du moins son souhait — vendre.

« J’ai opté pour un style réaliste. Ici, je n’ai pas besoin de me soucier des lois de la physique, mais je voulais que les visiteurs se sentent dans le monde réel », m’explique l’architecte de Miami.

Vous l’aurez compris, la maison est numérique, et Leandro Rolon espère y vivre virtuellement dans le métavers, ces séries d’univers virtuels où les grandes entreprises technos prévoient qu’un jour nous passerons une partie de nos vies, que ce soit pour travailler, nous amuser ou, bien sûr, consommer.

L’architecte Leandro Rolon devant sa maison virtuelle. (Capture d’écran: Maxime Johnson)

J’aurais pu interviewer Leandro Rolon en vidéoconférence, mais tant qu’à rencontrer un « architecte du métavers », aussi bien le faire dans sa création. Celle-ci a pignon sur rue dans Horizon Worlds, un logiciel de Meta (le nouveau nom de Facebook) pour le casque de réalité virtuelle Oculus Quest 2. L’application permet d’accéder à des milliers de mondes différents, comme des jeux ou des espaces de discussion. Certains sont créés par Meta, et d’autres par des utilisateurs comme moi. Le concept rappelle un peu Roblox, qui permet aussi de concevoir des jeux et des mondes en ligne.

La réalité virtuelle n’est pas idéale pour une entrevue. Je ne peux pas prendre de notes avec un casque sur la tête, et l’avatar 3D simpliste de mon interlocuteur ne permet pas de déchiffrer ses intentions ou ses émotions. Mais une telle rencontre est tout de même plus chaleureuse qu’un entretien au téléphone, par exemple, peut-être en raison du son qui provient de la direction de notre interlocuteur, comme dans la vraie vie, du fait qu’on peut exprimer certaines émotions en bougeant les mains, qu’on peut « marcher » en parlant ou qu’on sente le regard de l’autre lorsque ses yeux virtuels nous regardent.

Pas (encore) le véritable métavers

Samsung a diffusé la conférence de presse pour dévoiler ses nouveaux téléphones intelligents dans Decentraland, un autre précurseur du métavers. (Capture d’écran : Maxime Johnson)

Meta ne présente pas Horizon Worlds comme étant le métavers, mais plutôt comme un précurseur. Selon l’entreprise de Mark Zuckerberg, le métavers profitera notamment d’une technologie plus avancée, avec des avatars plus réalistes, et comprendra une véritable économie, qui permettra un jour à Leandro Rolon de vendre sa résidence virtuelle, ce qu’il ne peut pas faire pour l’instant.

Certains espèrent aussi que le métavers du futur sera plus ouvert et interconnecté. De cette façon, l’avatar que j’ai créé pour me représenter dans Horizon Worlds pourra me suivre dans Roblox ou Fortnite, par exemple.

Bon nombre d’entreprises n’hésitent quand même pas à utiliser l’appellation « métavers » pour définir leurs univers virtuels actuels. Au début février, le festival de diffusion alternative Le Phoque OFF a ainsi organisé une conférence de presse « dans [son] métavers » afin de présenter la programmation de son édition 2022. Sur la plateforme Nowhere (à laquelle on accède avec un navigateur plutôt qu’avec un casque de réalité virtuelle), le festival québécois offrira des activités de réseautage, des formations, des conférences, des ateliers et, bien sûr, des spectacles, le tout en 3D.

Le festival Le Phoque OFF a tenu une conférence de presse dans le métavers pour annoncer la programmation de son édition 2022. (Capture d’écran : Maxime Johnson)

Nous étions une dizaine de journalistes à la conférence de presse. La rencontre aurait été plus efficace en vidéoconférence (l’avatar d’un autre journaliste me bloquait un peu la vue, ce qui n’arrive pas sur Zoom), mais il était néanmoins logique de la tenir au même endroit qu’aura lieu le festival. Peut-être était-ce la simplicité de la salle dans laquelle nous nous trouvions, mais en toute honnêteté, je me sentais plus comme dans la version moderne d’un logiciel de clavardage de la fin des années 1990 que dans le futur. Qu’une rencontre du genre ait eu lieu démontre toutefois à quel point le métavers, inconnu de la plupart des gens il y a quelques mois seulement, a rapidement gagné en crédibilité. 

Je n’ai pas eu l’occasion d’assister à un spectacle du Phoque OFF, qui se déroulera du 21 au 25 février, mais j’en ai vu un autre récemment, puisque le groupe américain Foo Fighters a présenté un concert dans Horizon de Meta à la suite du Super Bowl.

Ce spectacle a surtout montré les limites de la technologie actuelle. Seuls 13 000 participants on pu y assister en direct, alors que probablement beaucoup n’ont pas été capables de le faire à cause de pépins techniques. Pour un concert annoncé dans le cadre du plus grand événement sportif de l’année aux États-Unis, c’est peu. Pour ceux qui y étaient, c’était toutefois assez réussi. On se promenait avec notre avatar dans l’équivalent d’une loge VIP, avec une quinzaine d’autres spectateurs à la fois. Le chanteur Dave Grohl, filmé en vidéo à 180 degrés, semblait plus grand que nature sur la scène juste devant nous.

En attendant un concert des Foo Fighters après le Super Bowl, des amateurs du groupe discutaient dans le hall virtuel. (Capture d’écran : Maxime Johnson)

Est-ce que le concert de 45 minutes était meilleur pour les gens entourés d’autres avatars en réalité virtuelle qu’il ne l’était pour ceux qui l’ont simplement vu en 2D sur Facebook Live ? Je crois que oui. J’avais un peu plus l’impression d’assister à un véritable concert que si je l’avais regardé sur mon ordinateur.

D’ailleurs, même avant le spectacle, le simple fait d’attendre dans un hall virtuel devant la porte de la loge et de discuter avec d’autres personnes autour de moi contribuait à donner une certaine impression de réalisme à l’événement. De là à dire que cela pourra un jour remplacer une sortie en chair et en os, il y a toutefois un pas que je n’oserais pas franchir.  

Ce que le métavers remplacera (ou pas)

Le constat est d’ailleurs le même pour toutes les autres activités auxquelles j’ai participé dans ces mondes virtuels au cours des derniers jours. Chaque fois, la même activité aurait été préférable en vrai.

Quelqu’un a créé dans Horizon Worlds une maison virtuelle pour faire la fête 24 heures sur 24, par exemple, avec de la musique assez forte et même une table de beer pong. Je ne remplacerais pas une soirée avec des amis par ça, mais ceux qui y étaient et qui s’intégraient au groupe avaient tout de même l’air de s’amuser. Probablement plus que s’ils étaient restés scotchés sur Instagram ou Twitter. Fait à noter, pendant mon passage, un visiteur s’est fait montrer la porte par les autres participants à la suite d’un vote. Je n’ai pas été témoin de l’interaction qui a causé la dispute, j’étais ailleurs dans la maison, mais l’incident était un bon rappel que la modération dans le métavers ne sera pas facile

Les détracteurs du métavers estiment qu’il ne remplacera jamais le monde réel. Après une semaine à explorer différents univers virtuels, j’ai tendance à leur donner raison. La technologie n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais aucun avatar réaliste, aucun serveur capable d’héberger 10 000 personnes plutôt que 12, aucune modération efficace ni aucune maison parfaite en 3D ne vaudra un contact humain.

Le métavers n’a toutefois pas besoin de remplacer la vraie vie pour connaître du succès. Selon les sondages, les Canadiens passeraient jusqu’à 11 heures par jour devant un écran, que ce soit celui de leur téléphone, de leur ordinateur ou de leur télévision. Notre quotidien a déjà été chamboulé par les technologies. Le métavers ne sera qu’un écran de plus, avec des usages à définir, qui remplacera une partie du temps que l’on passe devant nos autres appareils électroniques. Pour bien des personnes que j’ai rencontrées virtuellement cette semaine, cette transformation est déjà commencée.