Un Internet où les entreprises établies ont plus de chances de réussir que les jeunes pousses (start-ups), et où les fournisseurs d’accès dictent quels services leurs clients utiliseront : voilà le genre de situations qui risquent de se produire aux États-Unis après l’abandon probable des principes de neutralité du Net.
Voici cinq questions pour y voir plus clair :
Qu’est-ce que la neutralité du Net ?
C’est un principe visant à assurer l’égalité entre toutes les données sur Internet. Lorsque ce principe est respecté, un fournisseur d’accès Internet ne peut pas demander plus d’argent pour accéder à certains sites, ni garantir un accès plus rapide à un type de contenu en particulier. Le fournisseur n’est qu’une courroie de transmission, sans incidence sur ce que les clients consultent.
Pourquoi en parle-t-on aujourd’hui ?
La Federal Communications Commission (FCC, l’agence américaine équivalente au CRTC canadien) a dévoilé cette semaine son plan pour abandonner les règles favorisant la neutralité du Net, adoptées en 2015 sous Barack Obama.
L’abandon des règles s’inscrit dans une tendance de dérégulation plus large aux États-Unis. « La FCC essaie d’ailleurs d’en faire un dossier partisan, et présente la neutralité du Net comme un legs d’Obama mis en place pour miner les valeurs conservatrices, mais ce n’est pas le cas. Ceux qui la soutiennent sont autant à gauche qu’à droite », explique Laura Tribe, directrice générale d’OpenMedia, un organisme qui promeut la défense d’un Internet ouvert.
Selon la FCC, dont le commissaire Ajit V. Pai, nommé par Donald Trump, a auparavant travaillé pour l’opérateur américain Verizon, cette refonte des règles devrait alléger la machine gouvernementale, mais aussi inciter les fournisseurs à investir dans leurs infrastructures et à adopter des moyens de financement plus variés.
Quelles sont les conséquences d’un Internet dépouillé de sa neutralité ?
Sans neutralité du Net, les fournisseurs d’accès ont beaucoup plus de latitude dans le genre de forfaits qu’ils offrent à leurs clients, et dans la façon dont ils gèrent les données transmises sur leur réseau.
Un fournisseur de téléphone ou d’Internet pourrait ainsi choisir d’offrir certains contenus gratuitement, ou d’ajouter des blocs de données réservées à des applications précises. Pour 10 dollars de plus par mois, un opérateur comme Bell ou Vidéotron pourrait par exemple permettre d’accéder à Netflix de façon illimitée.

C’est d’ailleurs ce que propose l’opérateur Meo au Portugal, où le principe de neutralité du Net n’est pas imposé. Pour cinq euros par mois, un utilisateur peut accéder d’une façon illimitée à certains services vidéos en particulier (YouTube, Netflix, Periscope et Twitch), ou encore à quatre services de musique (Spotify, TuneIn, Google Play Music et SoundCloud).
L’idée ne paraît pas terrible à première vue. Mais les effets pervers d’une telle façon de faire sont grands : en encourageant quelques acteurs établis seulement, les fournisseurs incitent les consommateurs à utiliser ces services, et non ceux des nouvelles entreprises, ce qui réduit la concurrence et freine l’innovation.

Un opérateur pourrait aussi promouvoir le contenu créé par une filiale de sa société mère au détriment de celui des autres, ou même exiger de l’argent des entreprises afin de garantir la rapidité de l’accès à leurs services. Ici aussi, seules les entreprises établies risquent d’avoir les moyens de payer pour cette assurance, ce qui les avantage par rapport aux jeunes pousses.
Plusieurs autres effets potentiels pourraient également être imaginés, comme un fournisseur qui exigerait de l’argent de ses clients pour des usages précis (cinq dollars par mois pour des jeux vidéos en ligne rapides), qui interdirait des technologies comme le BitTorrent ou qui favoriserait certains sites Web, ce qui pourrait s’avérer problématique pour l’accès à l’information, par exemple.
« Il est important d’avoir accès à l’ensemble d’Internet, et non à quelques parties seulement », résume Laura Tribe.
Notons que des scénarios catastrophe sont parfois avancés par les partisans de la neutralité du Net, telle la possibilité qu’un fournisseur rende payant l’accès à certains sites populaires comme Facebook. Une telle dérive — bien que théoriquement possible — est peu probable : le risque que les fournisseurs perdent leurs clients serait beaucoup trop grand.
La neutralité du Net est-elle protégée au Canada ?
Au Canada, la protection de la neutralité du Net a été renforcée en avril dernier, avec la publication par le CRTC d’une politique réglementaire limitant les pratiques de différenciation des prix des fournisseurs de services Internet.
C’est d’ailleurs pour cette raison que l’organisme canadien a empêché cet été l’opérateur Vidéotron d’offrir son forfait Musique illimitée, où certains services de musique en ligne étaient accessibles d’une façon illimitée pour ses abonnés, sans frais supplémentaires.
Une révision des lois sur la radiodiffusion et les télécommunications canadiennes a été annoncée plus tôt cette année, mais tant le CRTC que le gouvernement Trudeau ont réitéré au cours des derniers jours l’importance de la neutralité du Net, qui ne semble donc pas menacée à court terme.
« On ne sait jamais ce qui peut se passer si la loi change aux États-Unis, mais c’est tout de même encourageant au Canada », note Laura Tribe.
Est-ce que le changement prévu à la réglementation américaine pourrait affecter les Canadiens ?
Même avec les protections canadiennes, un changement réglementaire aux États-Unis pourrait affecter les consommateurs et les entreprises au nord de la frontière.
« Si un service de diffusion vidéo doit payer les fournisseurs d’accès américains pour avoir un traitement préférentiel, cette dépense sera transmise aux consommateurs, qui devront payer leur abonnement plus cher », croit la directrice générale d’OpenMedia.
Il pourrait aussi être plus difficile pour les entreprises canadiennes d’offrir leurs produits aux États-Unis, puisqu’il leur sera impossible de lutter à armes égales et d’obtenir la même qualité de service. « Les fournisseurs pourraient même carrément donner la priorité aux sites américains sur leurs réseaux », ajoute Laura Tribe.
L’abandon de la neutralité du Net aux États-Unis pourrait également créer un effet boule de neige dans d’autres pays, qui affecterait aussi les entreprises canadiennes dans ces marchés.
Reste à voir si la grogne populaire suivant l’annonce de la FCC sera suffisante pour faire reculer la commission avant l’adoption de la proposition, prévue pour le 14 décembre.
« telle la possibilité qu’un fournisseur rende payant l’accès à certains sites populaires comme Facebook. Une telle dérive — bien que théoriquement possible — est peu probable : le risque que les fournisseurs perdent leurs clients serait beaucoup trop grand. »
Que ceux qui sont assez naïf pour croire que les gros fournisseurs d’accès ne se parle pas entre eux pour fixer les prix, lever la main?
C’est sur que si une idée comme ça: de faire payé l’accès à des sites (ultra) populaires comme Facebook fait sont chemin, les distributeurs vont faire le « move » presque tous en même temps et presque tous au même tarif. Comme s’il en auraient discuté entre eux…
Fort à parier qu’en plus, au début la tarification sera dérisoire: quelque dollars seulement, mais elle augmentera assurément.