Que faire lorsqu’un enfant achète à son insu – et à l’insu de ses parents – pour des centaines de dollars d’objets virtuels dans un jeu sur Facebook? Alors qu’une compagnie responsable aurait opté pour remettre l’argent aux parents et aurait tenté de remédier à la situation pour ne plus qu’elle se reproduise, Facebook a plutôt choisi de laisser le problème dégénérer pendant des années, tout en contestant les demandes de remboursements.
C’est ce qui ressort des documents de cour obtenus la semaine dernière par l’organisme journalistique américain Center for Investigative Reporting. Les mémos, courriels et autres conversations internes de Facebook démontrent notamment que l’entreprise était au courant des problèmes reliés aux achats par des enfants sur sa plateforme dès 2011, mais que celle-ci n’a rien fait pour corriger la situation avant 2016.
En plus de permettre de publier des photos, de retrouver de vieilles flammes du secondaire et de discuter avec ses amis, Facebook offre différents jeux, dont certains ont acquis une grande notoriété au fil du temps, comme Angry Birds ou FarmVille. Ces jeux sont gratuits, mais les amateurs peuvent aussi utiliser leur carte de crédit pour y acheter des vies supplémentaires, des bonus pour obtenir plus de points et des objets virtuels, par exemple.
Malheureusement, une fois que sa carte de crédit est sauvegardée dans son compte, il est facile d’effectuer une transaction sans s’en rendre compte. C’était du moins le cas en 2011, lorsque Facebook s’est penché sur le sujet. Selon un sondage interne obtenu par le Center for Investigative Reporting, plusieurs parents ignoraient alors que Facebook possédait leur numéro de carte de crédit et que leurs enfants pouvaient acheter des trucs sans devoir entrer de mot de passe. Les enfants, eux, ignoraient souvent qu’ils utilisaient de l’argent réel lorsqu’ils donnaient par exemple une coupe de cheveux à leur chien virtuel dans un jeu en ligne. «Ça ne ressemble pas à du vrai argent pour un mineur», observe l’employée de Facebook Tara Stewart dans une discussion interne.
Des résultats trop convaincants
Une équipe chez Facebook avait à l’époque mis à l’essai un outil pour diminuer la fréquence des abus, en demandant aux enfants d’entrer les six premiers chiffres de la carte de crédit avant d’effectuer une transaction. L’expérience s’est avérée concluante. Un peu trop, même, aux yeux du réseau social. Facebook a donc décidé de ne pas l’implémenter à grande échelle afin de maximiser ses profits.
Des enfants ont parfois contribué généreusement à ces profits. Les documents obtenus par le Center for Investigative Reporting recensent d’ailleurs des cas où des enfants ont dépensé des centaines, voire des milliers de dollars dans des jeux où même un adulte aurait pu être berné tellement les transactions étaient cachées.
Dans une discussion interne datant de 2013, deux employés de Facebook ont par exemple choisi de ne pas rembourser les dépenses de 6 545 dollars américains d’une adolescente («Elle a environ 13 ans. Elle dit qu’elle a 15 ans. Mais elle a l’air plus jeune», note l’employée Gillian Shewaga dans un message à son collègue). Rappelons qu’en 2013, Facebook enregistrait un profit annuel de 1,5 milliard de dollars américains.
L’entreprise devrait annoncer un bénéfice net avoisinant les 20 milliards de dollars américains en 2018, même si des scandales entourant les données personnelles et les fausses nouvelles se sont succédé tout au long de l’année.
La menace d’une action collective fait plier Facebook
Un des cas présentés par le Center for Investigative Reporting concernant un enfant de 12 ans s’est transformé en poursuite, puis a obtenu le statut d’action collective en 2014. Facebook a finalement signé une entente hors cours en 2016.
Facebook a par la suite en partie résolu son problème en resserrant ses règles et en facilitant les demandes de remboursement des parents lésés. C’est une bonne nouvelle. Mais qu’il ait fallu attendre plus de 5 ans pour que Facebook se résigne à prendre une décision dont les considérations éthiques sont aussi évidentes en dit tout de même long sur la capacité de son personnel-cadre à diriger l’entreprise lorsque les tenants et les aboutissants d’une question éthique sont moins apparents.