Quand Steven Soderbergh réinvente la télé

La série télé Mosaic permet au téléspectateur de se faire raconter une histoire de meurtre à son rythme et dans l’ordre qu’il le désire.

Photo: Maxime Johnson.

De nombreux créateurs profitent des nouvelles technologies pour imaginer des structures narratives originales et réinventer les façons de raconter des histoires. Si aucune expérience du genre n’a vraiment séduit le grand public jusqu’ici, Mosaic, du réalisateur Steven Soderbergh, vient changer la donne.

Une romancière pour enfants (Sharon Stone) est assassinée dans une ville touristique de l’Utah. Mais qui l’a réellement tuée ? Son homme à tout faire ? Son riche voisin qui lorgne ses terres depuis des années ? Sa femme de ménage qui s’est enfuie au Mexique ? Son fiancé accusé du meurtre par la police, mais dont la sœur tente de blanchir la réputation ?

Comme dans toute bonne intrigue policière, Steven Soderbergh (Sex, Lies and Videotape, Erin Brockovich, Ocean’s Eleven) joue avec le spectateur, en lui révélant des indices au compte-gouttes et en le poussant vers de fausses pistes.

Mais au lieu de suivre l’histoire passivement devant la télévision, il est possible de découvrir ce récit comme on le souhaite. La minisérie, qui dure un peu plus de sept heures au total, est séparée en une dizaine d’épisodes d’une demi-heure environ, tous accessibles à l’aide d’une application mobile gratuite (offerte seulement aux États-Unis  pour l’instant) pour les téléphones intelligents.

Après un épisode, le spectateur choisit ce qu’il veut regarder ensuite, en suivant un personnage ou un autre, ou encore en revenant en arrière pour explorer davantage un bout du récit. Chaque épisode cache aussi du contenu supplémentaire, comme des vidéos qui approfondissent la psychologie des personnages, des articles de journaux qui permettent de mieux connaître cet univers ou des messages audios qui remettent une scène en contexte.

Ceci n’est pas un jeu

Mosaic aurait pu ressembler à un jeu vidéo, un média qui offre souvent au joueur une liberté similaire. Ce n’est toutefois pas le cas, puisque les choix du spectateur n’affectent pas l’histoire comme dans un film interactif.

Le spectateur peut regarder les épisodes de Mosaic dans l’ordre qu’il désire.

La finale de Mosaic est la même pour tout le monde, mais elle a été conçue pour être regardée de différentes façons, sans que cela nuise à l’expérience. Le spectateur ne rencontre par exemple jamais de personnage qu’il ne connaît pas, et le récit demeure cohérent même si de grands bouts ont été passés. Bref, Mosaic ressemble plus à un livre de recettes qu’à un « livre dont vous êtes le héros ».

La chaîne payante américaine HBO (derrière les succès Game of Thrones, Six Feet Under et The Wire) diffusera d’ailleurs aux États-Unis en janvier une version de six heures de la série, montée par Steven Soderbergh d’une façon plus traditionnelle.

Des contenus supplémentaires, comme de faux journaux, permettent d’étoffer l’histoire de Mosaic.

Mosaic n’est pas la première série à expérimenter de la sorte, mais elle est la première à le faire avec un budget de 20 millions de dollars américains, un réalisateur oscarisé, une actrice connue comme Sharon Stone et un diffuseur respecté comme HBO.

Est-ce réussi ? Quand même. Le jeu et le ton sont bons, les thèmes abordés — l’art, le mensonge — apportent une profondeur à l’histoire et l’intrigue nous donne envie d’écouter la série d’un seul coup pour découvrir qui est le coupable. La liberté dans la manière de consommer Mosaic n’améliore toutefois pas particulièrement l’expérience. Ceux qui regarderont la série sur leur téléphone ne l’apprécieront probablement pas beaucoup plus que ceux qui la suivront au petit écran en janvier.

À une époque où la télévision connaît un véritable âge d’or, et où beaucoup d’amateurs peinent à trouver le temps de regarder toutes les séries qui les intéressent, un concept comme Mosaic offre cependant un autre avantage de taille : celui de pouvoir suivre une histoire en fonction du temps que l’on possède. Ceux qui n’ont pas 8 heures à consacrer à une série télé peuvent terminer Mosaic en 2 heures 40 seulement, puis approfondir l’aventure selon leur intérêt.

Si la télévision doit être réinventée, l’expérience de Mosaic pourrait jouer un rôle clé dans cette métamorphose et devenir une inspiration pour d’autres créateurs, qui pourront pousser le concept encore plus loin. De la même manière que les nouvelles formes narratives risquent d’être bien servies dans des médias comme le jeu vidéo ou la réalité virtuelle.

Les commentaires sont fermés.

Je remarque en particulier le fait qu’on puisse regarder la série en quelques heures, ce qui est certainement un bonus pour moi. Je trouve que les téléséries sont souvent beaucoup trop longues et perdent de leur saveur avec le temps. On voit bien que les auteurs s’essoufflent et on finit par perdre de l’intérêt. J’aime bien les séries plus courtes comme Série noire et, plus récemment, Fait divers; pour moi c’est une recette gagnante qui assure que les auteurs ne perdent pas le feu sacré!