Quatre choses à savoir sur la « Cour suprême » de Facebook

Un comité aura désormais le dernier mot sur ce qui peut être publié ou pas sur Facebook. Des utilisateurs frustrés seront entendus. Ceux qui espèrent des changements profonds risquent d’être déçus.

Les membres du conseil de surveillance de Facebook. Photo : Facebook / L'actualité

Au cours des prochains mois, les utilisateurs de Facebook et Instagram dont le contenu a été supprimé par le réseau social (parce que considéré comme haineux ou violant la propriété intellectuelle, par exemple) auront une façon supplémentaire de faire valoir leur cause, grâce au nouveau conseil de surveillance (Oversight Board) de Facebook. Ce conseil, promis depuis deux ans par le PDG Mark Zuckerberg, commencera bientôt à analyser ses premières plaintes.

Le réseau social retire des millions de publications de son site tous les mois, généralement de façon automatique, à l’aide d’outils d’intelligence artificielle, ou encore à la suite de plaintes d’utilisateurs. Si la plupart des dossiers se règlent simplement, d’autres sont plus complexes, et des utilisateurs peuvent estimer qu’on brime leur liberté d’expression. Ce sont eux qui pourront faire entendre leur cause auprès du conseil de surveillance.

Le conseil est indépendant et aucun de ses membres n’est employé de Facebook. Il jouit d’une indépendance financière grâce à la création, par le réseau social, d’un fonds de 130 millions de dollars américains, lequel n’est pas géré par l’entreprise et ne pourra être révoqué par elle. Les répercussions sur la situation financière du géant américain ne devraient donc pas être prises en compte dans les décisions.

1- Le conseil devra établir des priorités

Dans un premier temps, le conseil de surveillance se penchera uniquement sur les causes concernant des publications supprimées par Facebook et Instagram. Puis, ceux qui ont échoué à obtenir le retrait de contenu pourront aussi soumettre leur dossier.

Comme à la Cour suprême du Canada, le conseil de surveillance choisira les causes qu’il entendra parmi toutes celles qui lui seront soumises. Il s’attend à en recevoir des milliers tous les ans, et sera en mesure d’en traiter seulement une petite partie. Il donnera donc priorité aux dossiers qui touchent beaucoup d’utilisateurs, qui ont un grand écho sur la place publique (un politicien qui diffuse de la désinformation ?) ou qui remettent en question les politiques de Facebook.

À moins que Facebook ne modifie les règles, ce n’est pas tout le contenu publié sur le réseau social qui pourra être évalué par le conseil de surveillance. Ce dernier n’a en effet pas son mot à dire sur ce qui paraît sur Marketplace, WhatsApp, Messenger, les messages privés Instagram et la plateforme de réalité virtuelle Oculus.

2 – Les membres ont des CV impressionnants

Vingt personnes ont été nommées au conseil à ce jour. Facebook a d’abord choisi quatre coprésidents, qui ont ensuite dirigé la sélection des autres membres. La taille du conseil pourrait doubler au cours des prochaines années.

La légitimité des membres est difficile à remettre en question. Une des coprésidentes est l’ex-première ministre danoise Helle Thorning-Schmidt, et on compte des experts comme l’ancien rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, qui a chapeauté la publication des révélations d’Edward Snowden ; et András Sajó, un ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme, qui a participé à l’élaboration des constitutions de l’Ukraine, de la Géorgie et de l’Afrique du Sud.

En tout, le conseil a dans ses rangs une lauréate du prix Nobel de la paix, deux anciens rapporteurs spéciaux des Nations unies et trois ex-juges de cours fédérales ou internationales. Ils proviennent de partout dans le monde, représentent différents groupes ethniques et parlent en tout 29 langues. Leur expertise est variée, mais concerne souvent les droits de la personne et la liberté d’expression. Nombre d’entre eux ont ouvertement critiqué Facebook à de nombreuses reprises par le passé.

3 – Les décisions du conseil seront sans appel

Quand le conseil se penche sur un cas, il reçoit les informations de Facebook et des personnes qui ont déposé les plaintes. Il peut aussi demander des informations supplémentaires ou même obtenir de l’aide extérieure au besoin (d’un linguiste ou d’un chercheur spécialisé dans une religion spécifique, par exemple).

Lorsque le conseil rend une décision, Facebook est dans l’obligation de l’appliquer dans un délai de sept jours. Le conseil doit publier toutes les informations reliées au dossier sur son site Web. Facebook doit pour sa part commenter publiquement chaque décision dans la salle de presse de son site.

Facebook pourra aussi déterminer si des décisions qu’elle a prises dans le passé concernant des causes similaires devront être réévaluées en fonction de la décision du conseil. Le réseau social n’est toutefois pas tenu de le faire, selon la charte du conseil de surveillance publiée cette semaine.

4 – Le conseil ne pourra pas changer les politiques de Facebook

Le conseil prendra ses décisions en fonction des politiques internes de Facebook. Dans certains cas, lorsque ces politiques nuisent à la société par exemple, le conseil peut émettre des recommandations pour inciter le réseau social à les modifier. Le conseil de surveillance pourrait ainsi lui suggérer de changer sa politique actuelle, qui permet aux politiciens de diffuser des publicités électorales mensongères sur la plateforme (ce qui avait soulevé l’ire l’année dernière du candidat démocrate à la présidence des États-Unis Joe Biden).

Contrairement aux décisions, qui doivent être respectées par Facebook, les recommandations, elles, peuvent être laissées de côté. L’entreprise devra toutefois fournir une réponse officielle et publique à la proposition dans les 30 jours.

Il s’agit là de la plus grande faiblesse du processus. Le conseil de surveillance pourra aider des utilisateurs mécontents, mais pour ce qui est de changer les politiques ou de régler les problèmes intrinsèques de la plateforme, Facebook aura le dernier mot.

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