«Désolé, nous ne remboursons pas les terroristes.» En lisant ces mots, Yves Langlois sourit ; cela faisait longtemps que le réalisateur québécois n’avait pas été mépris pour Yves Langlois, un ancien membre du FLQ. Et c’est bien la première fois qu’une compagnie invoque le passé de son homonyme pour refuser de le dédommager pour un produit acheté en ligne, mais jamais livré !
Yves Langlois, le réalisateur, ne se laisse pas intimider et, après quelques courriels, récupère son argent. Il ne demande toutefois pas comment l’entreprise, basée en France, a fait une telle association.
Trois mois plus tard, en novembre dernier, il «google» son nom et découvre d’où provient la confusion. Cette fois, il n’a pas envie de sourire.
Chercher «Yves Langlois» dans Google — en anglais — génère quelque 490 000 résultats. Des photos du réalisateur apparaissent en haut, suivi de deux pages Wikipédia. L’une, en français, est à son sujet. L’autre, en anglais, traite du second Yves Langlois, le «terroriste» du FLQ. Jusque-là, aucun problème. On ne peut ni refaire l’histoire ni choisir son nom.
À la droite des résultats apparaît toutefois un petit encadré contenant une brève biographie en anglais : «Yves Langlois, alias Pierre Seguin, était un terroriste canadien et membre du groupe terroriste québécois Front de Libération du Québec, le groupe responsable de la Crise d’octobre de 1970.» Et à côté de la description se trouve une photo d’Yves Langlois… le réalisateur.
Terroriste. Difficile d’imaginer pire étiquette à se faire accoler par erreur. Cela peut limiter votre capacité de voyager, de trouver un emploi et, même, de faire des rencontres amoureuses.
La situation aurait pu être cocasse s’il était facile de discerner l’inexactitude. Mais les deux Yves ont à peu près le même âge, le réalisateur est ouvertement souverainiste, et le terroriste était un spécialiste des faux papiers. Le cocktail parfait pour semer le doute.
En fouillant un peu, il apprend que Google a trompé bien des gens. Certains de ses amis le méprennent pour le felquiste. Une personne a même refusé de collaborer professionnellement avec lui après avoir pris connaissance de son «passé».
Des découvertes inquiétantes, d’autant plus que le réalisateur s’apprête à déposer trois projets de documentaire. Qu’arriverait-il si l’un de ses clients entrait son nom dans le moteur de recherche ?
Le jour même où il découvre l’erreur, Yves Langlois décide donc de contacter Google pour rectifier la situation.
Mais au fait, comment contacte-t-on Google ?
Il y a le formulaire de suppression de contenu de Google. Yves Langlois y décrit son problème et fournit l’adresse URL de sa recherche.
Le message qu’il reçoit ensuite indique toutefois que des résultats Google ne constituent pas une page Web et que rien ne peut être fait pour lui…
Le fameux encadré où Yves Langlois est associé à un terroriste n’est en effet pas une page Web. Il s’agit d’une fonction de Google lancée en 2012 et baptisée Knowledge Graph. Littéralement, le «graphique du savoir». Beau paradoxe.
Chaque fois que vous effectuez une recherche dans Google, le Knowledge Graph rassemble, en une fraction de seconde, les informations essentielles sur le sujet qui vous intéresse.
Entrez le nom d’une boutique, et vous verrez une carte accompagnée de l’adresse, du numéro de téléphone des heures d’ouverture. Tapez le nom d’une entreprise cotée en Bourse, et vous obtiendrez le cours de l’action, la ville où se trouve le siège social et le nom du PDG. Inscrivez le nom d’une personnalité connue, et vous découvrez notamment une courte biographie, sa date de naissance et sa généalogie.
Le Knowledge Graph «comprend plus de 570 millions d’entrées, qui renferment plus de 50 milliards de faits et données», indique par courriel une relationniste de Google Canada, Leslie Church. «Notre objectif est d’être utile, mais nous réalisons que nous ne serons jamais parfaits, de la même façon que le savoir d’une personne ou d’une librairie ne sera jamais complet. Nous avons donc inclus un lien permettant aux usagers de signaler les inexactitudes.»
Un lien apparaît en effet tout en bas du Knowledge Graph. Mais la petite police de caractères utilisée, combinée à la couleur grise, le rend pratiquement invisible. Pire, il est intitulé «commentaires». On ne penserait pas intuitivement à y cliquer pour signaler une erreur…
Yves Langlois n’a pas accès à une relationniste pour lui dire où cliquer. À force de tâtonnements, il finit tout de même par remarquer le lien et l’activer. Un encadré l’invitant à signaler une erreur apparaît. Bingo !
Le réalisateur remplit le formulaire, clique sur «envoyer», puis attend, persuadé d’avoir enfin réglé le problème.
Les jours passent ; la photo reste. Yves Langlois envoie le formulaire de nouveau. Rien. Il appelle même au siège social de Google. Mais après cinq heures d’attente — cinq heures ! —, la ligne coupe. Il est 17 h en Californie, et les heures de bureau sont terminées.
Découragé, Yves Langlois fait appel à un avocat de la Clinique juridique Juripop. Une mise en demeure est envoyée à Google. Aucune réponse.
Quand une demande d’injonction est finalement demandée à la Cour supérieure du Québec, le 25 novembre, Google ne daigne même pas se présenter pour se défendre. Le juge ordonne à l’entreprise américaine de «supprimer toute information associant le demandeur avec Yves Langlois, activiste et terroriste, né en 1947 […]».
L’ordonnance d’injonction est transmise par huissier au bureau montréalais de Google le 26 novembre. La photo reste en place.
«Google nous ignore complètement, affirme l’avocat d’Yves Langlois, Alex Boudreault-Leclerc. L’erreur est pourtant grave et a des conséquences importantes pour mon client.»
Le mardi 2 décembre, La Presse a vent de l’affaire et contacte Google, qui répond travailler «afin de corriger la situation».
Dans la nuit du 2 au 3 décembre, avant la parution de l’article, la photo d’Yves Langlois le réalisateur est enfin retirée de la biographie d’Yves Langlois le terroriste.
Dans son courriel envoyé à L’actualité au sujet du Knowledge Graph, la relationniste Leslie Church indique que toutes les demandes de révisions sont étudiées et que tout est fait pour «effectuer les changements aussi rapidement que possible et s’assurer de fournir des informations exactes».
Google a besoin de 0,36 seconde pour livrer 490 000 résultats de recherche sur Yves Langlois, mais il lui a fallu près d’un mois pour retirer une photo. Ce délai pourrait coûter cher à l’entreprise de Mountain View : le documentariste poursuit ses démarches judiciaires et réclame 350 000 dollars en dommages.
Et vous, vous êtes-vous «googlé» dernièrement ?
Mise à jour (15 décembre 2014): À la demande d’Yves Langlois, L’actualité a retiré de ce texte les captures d’écran du Knowledge Graph montrant sa photo au-dessus de la biographie de l’ancien felquiste. Ces photos apparaissaient dans Google Images chaque fois qu’une personne cherchait «Yves Langlois terroriste» et risquaient, par le fait même, de maintenir le tort subit par le réalisateur. Contrairement à Google, L’actualité a mis moins de 24 heures à répondre à sa demande.
Le FLQ n’était pas un regroupement de terroristes, mais un regroupement de révolutionnaires!
Est-ce que le personnage de légende Robin des bois était un terroriste?
Non, il tentait de défendre le peuple contre la tyrannie du chérif de Nottingham.
Alors, il n’est pas surprenant aujourd’hui de voir nos tyrans user du terme « terroriste » tous ceux qui veulent protéger le peuple contre leur méfaits.
En somme, on pourrait dire que le révolutionnaire de l’un est le terroriste de l’autre!
Conseillez à M. Langlois d’afficher le nom de l’entreprise française. Je suis en France (au lieu d’être à Montréal) je me ferais un palisir de contacter ladite entreprise et de lui faire de la pub. Une telle réponse est inacceptable, depuis quand le commerce et la vie privée des gens ont-ils un lien? sans compter que le FLQ c’était il y a ……..35 ans et que la France ni ladite entreprise n’était concernée.