Ils étaient annoncés comme la technologie de l’avenir en mobilité : les taxis volants, conçus pour traverser une ville en quelques minutes, peu importe le trafic au sol. Ces appareils ressemblent généralement à des drones électriques géants, capables de s’envoler à la verticale comme un hélicoptère, mais ils sont moins polluants, coûtent une fraction du prix à exploiter et sont plus sécuritaires que ce dernier.
En 2018, Uber estimait que ses premiers taxis aériens voleraient commercialement à Dallas ou à Los Angeles dès 2023. Pendant les salons de l’électronique Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas en 2017, 2018 et 2019, plusieurs prototypes de taxis volants ont été présentés par différentes entreprises, dont le Bell Nexus, conçu à Mirabel.
La pandémie a depuis détourné l’attention de ces véhicules volants, mais leur arrivée est encore au programme, comme on a pu le constater lors de deux présentations sur la « mobilité aérienne avancée » dans le cadre de l’événement MTL connecte, qui se poursuit jusqu’au 17 octobre.
Plus que des taxis
« Tout le monde pense aux taxis volants quand on parle de mobilité aérienne avancée, mais c’est beaucoup plus que ça », note d’emblée Mirko Hornung, directeur de la recherche et de la technologie à Bauhaus Luftfahrt e.V., un groupe de réflexion allemand sur l’avenir de l’aviation.
Ces engins volants peuvent aussi être utilisés pour les services d’urgence, le transport de marchandises, la police et l’armée. Ou encore pour le tourisme, afin de transporter des visiteurs de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal à Mont-Tremblant, par exemple. Avec le temps, et si leur portée le permet, ces véhicules pourraient aussi servir à atteindre plus facilement des communautés isolées.
Ils peuvent être dotés de différentes technologies, comme des hélices qui se tournent vers l’avant après le décollage. Leurs technologies sont plus modernes que celles des hélicoptères actuels : moteurs électriques avec batteries, puissance de calcul plus grande (pour potentiellement être pilotés d’une façon autonome) et capteurs pour s’orienter.
Il y aurait plus de 200 projets dans le monde en ce moment autour de la mobilité aérienne avancée, selon le Bauhaus Luftfahrt e.V. Ces projets privés et publics s’intéressent à tous les volets de la technologie, de la création des aéronefs à la mise au point de systèmes de conduite autonome, en passant par le design de « vertiports » adaptés à ces nouveaux moyens de transport, permettant par exemple d’accueillir assez de passagers sans risquer que trop d’aéronefs circulent dans les airs en même temps.

« Les héliports des villes sont généralement conçus pour un passager à la fois, et pour une faible utilisation. Ce modèle ne fonctionne pas avec la mobilité aérienne avancée », observe Mirko Hornung.
Plusieurs enjeux à surmonter
Même si des prototypes de taxis volants existent déjà, ceux-ci ne pourraient pas prendre le ciel demain matin. Plusieurs contraintes nous séparent encore de leur arrivée.
Environnement
« C’est un enjeu crucial. La mobilité aérienne avancée doit être durable. Sinon, ce ne sera pas acceptable », croit Mirko Hornung. Les moteurs électriques devraient permettre de voler sans émettre de gaz à effet de serre, et leur consommation énergétique devrait être réduite pour ne pas surcharger les réseaux électriques. « On est à plusieurs ordres de magnitude de la cible à atteindre », estime le directeur.
Différentes technologies peuvent aider à diminuer les dépenses énergétiques. À l’Université Concordia, à Montréal, le professeur Luis Rodrigues s’intéresse par exemple à l’optimisation des vols. « On veut notamment trouver un équilibre entre la réduction de la consommation énergétique et la durée des trajets », note le chercheur à MTL connecte.
Acceptabilité sociale
Pour minimiser la pollution visuelle, les aéronefs devront peut-être, par exemple, voler plus haut que nécessaire. « On ne veut pas de villes qui ressemblent au film Le cinquième élément », lance Mirko Hornung.
« Il faut aussi réduire le bruit des appareils », estime le directeur. Par rapport au son, d’autres chercheurs tiennent toutefois à apporter un bémol. « Ça dépend du contexte », affirme Humberto Bettini, professeur adjoint à l’Université de São Paulo, au Brésil. Pour lui, les résidants de New York, Tokyo ou São Paulo, où les hélicoptères bruyants font déjà partie de la réalité, n’ont pas les mêmes attentes relativement à la pollution sonore que ceux d’une plus petite ville.
Sécurité
« On a aussi besoin de moyens pour assurer que tout soit le plus sécuritaire possible. Pour les passagers, mais également pour les personnes au sol, car on parle ici de véhicules lourds qui vont voler dans des environnements urbains, note Mirko Hornung. La sécurité n’est pas négociable. »
Modèles d’affaires
Pour que l’achat d’aéronefs vaille la peine, des modèles d’affaires devront être mis en place afin d’assurer la viabilité financière de la mobilité aérienne avancée, surtout dans le cas du transport privé de particuliers, que ce soit dans un service de taxi à l’intérieur d’une ville ou à l’intérieur d’une région.
« Nous avons mesuré la demande et la volonté de payer pour des services du genre dans les 40 plus grandes villes américaines », note Laurie Garrow, professeure de génie civil et codirectrice du Centre pour la mobilité aérienne urbaine et régionale de l’Institut de technologie de Géorgie, aux États-Unis.
L’étude, qui a été réalisée à l’aide de sondages et d’analyses de déplacements avec des données provenant de téléphones intelligents, montre qu’une grande partie de la demande viendrait de New York, Los Angeles et Washington.
Contexte réglementaire
Pour la plupart des intervenants, le principal défi qui pourrait retarder l’arrivée de l’aviation aérienne avancée n’est pas technologique, mais plutôt réglementaire. Les lois devront être réécrites pour permettre à ces nouveaux aéronefs de voler. Il faut repenser les corridors aériens et créer des programmes de certification. « Tout cela va être long. C’est pour cette raison que les pays ne doivent pas attendre que les véhicules soient prêts avant de s’en charger, ce travail doit être réalisé dès maintenant, en parallèle », note Constantinos Antoniou, professeur à l’Université technique de Munich, en Allemagne.
En a-t-on vraiment besoin?
Avec les défis à surmonter et les inconvénients potentiels, plusieurs se demanderont si une telle mobilité aérienne avancée est nécessaire, plus particulièrement dans le cas des taxis volants.
D’autant que même si l’industrie arrive à réduire le prix des déplacements aériens, ce ne sera probablement qu’une fraction de la population qui pourra en profiter. « Selon une étude de faisabilité qu’on a faite en Bavière, même dans les conditions les plus favorables, les parts de marché de la mobilité aérienne ne seront que de 1 % ou 1,5 % environ. Ça ne diminuera pas la congestion routière », avertit d’ailleurs Constantinos Antoniou.

Pour les 99 % restants, pris de pare-chocs à pare-chocs sur terre, l’image du 1 % qui vole à pleine vitesse pourrait difficilement être plus forte.
« Il ne faut pas oublier quelque chose, c’est que dans plusieurs villes, les déplacements en hélicoptère existent déjà », rappelle toutefois Humberto Bettini, de l’Université de São Paulo.
« Les hélicoptères polluent, ils sont dangereux et ils sont difficiles à entretenir. Même si, dans le pire des cas, la mobilité aérienne avancée ne faisait que remplacer les hélicoptères, ça vaudrait la peine », renchérit Laurie Garrow, de l’Institut de technologie de Géorgie.
« C’est certain qu’il faut remplacer les hélicoptères. Maintenant, c’est important de savoir qu’on n’a pas d’hélicoptères dans toutes les villes, et qu’on n’aura probablement pas besoin de services du genre partout », poursuit Luis Rodrigues, de l’Université Concordia. Pour ce dernier, les villes avec de bons réseaux de transport en commun, par exemple, pourront sans doute se passer de taxis volants.
« Mais ce n’est pas une raison pour ne pas se doter de cet outil supplémentaire. On devrait aller de l’avant. Cela étant dit, bien honnêtement, la meilleure solution, ça demeure le vélo. Si on habite dans une ville qui permet de se déplacer de cette façon, c’est ce qu’il faut faire », lance le professeur.