Des restaurants sous le feu des fausses critiques

Des restaurants nommés Red Hen partout dans le monde font les frais de la prise de position politique d’un établissement de Virginie, qui a éconduit la porte-parole de la Maison-Blanche. Une situation fréquente, à laquelle les sites de critiques comme Yelp réagissent timidement.

Le 22 juin dernier, la porte-parole de la Maison-Blanche Sarah Huckabee Sanders s’est fait montrer la porte d’un restaurant, au motif qu’elle travaillait pour le président Donald Trump. Quelques heures après les faits, les critiques négatives ont commencé à submerger le profil Yelp du Red Hen à Lexington en Virginie.

En quelques jours, le restaurant a ainsi accumulé des milliers de commentaires à une étoile sur ce site qui publie les avis des Internautes sur les commerces locaux. Certains mentionnent une fausse visite au restaurant, tandis que d’autres critiquent directement son affront à Sarah Huckabee Sanders, dont la photo apparait même en gros au haut de la page. Yelp affiche bien depuis le début de la semaine un avertissement, affirmant que la page est surveillée de près, mais les faux messages demeurent en ligne malgré tout.

Le Red Hen de Virginie n’est pas la seule victime de ces fausses critiques. Des restaurants qui portent par hasard le même nom partout aux États-Unis – et même aux Philippines – reçoivent de mauvaises notes et des courriels de bêtises, même s’ils ne sont aucunement reliés au Red Hen qui a refusé de servir Sarah Huckabee Sanders. Après avoir eu des notes moyennes de 4,5 étoiles en avril et mai, un restaurant Red Hen de Washington a par exemple obtenu en juin une moyenne de 2 étoiles. Ici aussi, les commentaires ne sont guère édifiants.

Notons que Yelp n’est pas la seule entreprise à prendre la modération à la légère. Zomato est aussi submergé de fausses critiques, et certains fournisseurs du Red Hen ont été décotés sur Facebook. D’autres, comme Google et TripAdvisor, ont toutefois été rapides à effacer les faux commentaires et à restreindre les nouvelles publications.

Un problème fréquent

Les fausses critiques – positives ou négatives – sont fréquentes dans l’industrie. Au début juin, le copropriétaire du restaurant-bar Bord’Elle à Montréal John E. Gumbley a reçu des centaines de fausses notes à 1 étoile sur Facebook, à la veille du Grand-Prix de Montréal.

« J’étais à un événement, et mon téléphone s’est mis à vibrer toutes les secondes », se souvient-il. Les critiques provenaient d’utilisateurs étrangers, probablement des robots pouvant être loués pour des besognes du genre. La note du restaurant est passée de 4,5 étoiles à 3,6 étoiles en quelques minutes.

La situation a depuis été corrigée. Le Bord’Elle a restreint sa page Facebook à l’Amérique du Nord seulement, ce qui a empêché l’ajout de nouvelles fausses critiques. L’équipe de John E. Gumbley a aussi contacté le réseau social pour lui faire part du problème. 90 fausses critiques ont été enlevées dans les 24 heures suivantes, puis 200 autres dans les journées subséquentes. Une cinquantaine sont encore en train d’être analysées.

Ce n’est pas la première fois que cette situation se produit au Bord’Elle. L’établissement montréalais a aussi reçu des dizaines de fausses critiques sur Yelp la veille d’un Jour de l’An. Dans ce cas, le site américain n’a pas retiré les commentaires.

Le restaurateur Jorge Da Silva a pour sa part été plus chanceux avec son restaurant Ibérica, mais il a entendu plusieurs histoires d’horreur au fil des ans. « Il y a beaucoup de fausses critiques à Montréal, notamment sur Google Reviews et TripAdvisor. Parfois, elles sont faites par des gens qui n’aiment pas la place, mais malheureusement, elles sont aussi souvent écrites par des concurrents », affirme-t-il.

Une étude publiée en 2016 dans la revue Management Science tend à lui donner raison. Dans les quartiers achalandés, des chercheurs de l’Université Harvard et de l’Université de Boston ont en effet observé un plus fort taux de critiques frauduleuses sur Yelp par rapport aux endroits où la concurrence est plus faible. Dans le monde difficile de la restauration, nuire à son compétiteur en ligne peut s’avérer une stratégie payante.

Fausses critiques, vraies conséquences

Le cas du Red Hen de Virginie est dans une classe à part, et pourrait même paraître loufoque, mais les fausses critiques ont des conséquences bien réelles pour les restaurants.

Dans une étude publiée dans la revue Economic Journal, des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley ont observé qu’une hausse de 0,5 étoile sur Yelp était suffisante pour augmenter de 49% les chances qu’un restaurant affiche complet. À l’inverse, une décote signifie qu’un client potentiel risque plutôt d’aller ailleurs. Une hausse d’une étoile permettrait aussi à un restaurant d’augmenter ses revenus de 9%, selon une autre étude réalisée par Michael Luca de la Harvard Business School.

Le Red Hen original et les restaurants du même nom risquent potentiellement d’être affectés à long terme par la situation si Yelp et les autres sites du genre ne corrigent pas les fausses critiques qui inondent leurs pages. Les sites de publication d’avis existent grâce aux restaurants. Assumer leurs responsabilités – dans ce cas-ci et dans les autres qui viendront sûrement – serait la moindre des choses.

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