Une loi pour lutter contre la dépendance technologique?

Un nouveau projet de loi américain souhaite empêcher les géants technos de créer des fonctionnalités qui exploitent les faiblesses psychologiques humaines. Notre chroniqueur techno Maxime Johnson fait le point.

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Le contenu qui défile à l’infini, les badges qui encouragent les utilisateurs à effectuer une action tous les jours, les vidéos qui démarrent automatiquement: voilà quelques uns des comportements que souhaite interdir le sénateur américain Josh Hawley avec son projet de loi Social Media Addiction Reduction Technology (SMART) Act.

« Les géants technos ont adopté un modèle d’affaires relié à la dépendance. Trop d’innovations dans le domaine sont conçues non pas pour améliorer les produits, mais pour retenir l’attention des utilisateurs en utilisant des trucs psychologiques », a dit mardi le sénateur républicain du Missouri dans le communiqué publié pour annoncer son projet de loi.

Si la loi était adoptée, les réseaux sociaux n’auraient donc plus le droit d’intégrer des fonctionnalités conçues uniquement pour inciter les utilisateurs à passer plus de temps sur leur plateforme. Il y aurait des exceptions, notamment pour la musique, mais les fils en continu devaient aussi avoir des points d’arrêts naturels plutôt que de se mettre à jour indéfiniment.

Parmi les autres mesures proposées, chaque réseau social devrait offrir un outil pour mesurer le temps passé sur le réseau et en bloquer l’accès après une durée prédéterminée. La Federal Trade Commission (Commission fédérale du commerce) et le Department of Health and Human Services (le Département de la Santé et des Services sociaux des États-Unis) pourraient aussi imposer des règles similaires, qui devraient toutefois être ajoutées à la loi par le congrès américain après 3 ans.
Le SMART Act interdirait aussi d’autres techniques douteuses employées par les géants du web, comme l’affichage du bouton «Accepter» en gros et du bouton «Refuser» en petit lorsque le consentement d’un utilisateur est demandé, par exemple.

Un besoin criant

Même si les mesures proposées risquent d’être décriées comme excessives, force est de constater qu’un encadrement plus serré des plateformes web s’impose.
Les réseaux sociaux sont optimisés pour créer de la dépendance et inciter les gens à les utiliser de plus en plus, ce qui permet en retour aux entreprises d’obtenir plus d’informations et d’afficher plus de publicités. Et ça fonctionne : en Amérique du Nord, les utilisateurs passaient en moyenne 2h22 quotidiennement sur les réseaux sociaux, contre 1h30 en 2012.

Les Canadiens de 16 à 24 ans passeraient quant à eux plus de trois heures par jour sur ces plateformes.

Les autres industries qui profitent de la dépendance sont généralement encadrées de près. Les publicités pour les cigarettes sont interdites, les jeux de hasard sont limités à des endroits précis et les heures d’achat d’alcool sont restreintes par la loi. Les plateformes web pourraient aussi être contrôlées d’une certaine façon.

Un projet de loi qui ne verra probablement pas le jour

Les chances du SMART Act d’être adopté sont très minces. Aucun autre sénateur n’y a apposé sa signature pour l’instant, et le projet risque de se mettre à dos les Républicains qui s’opposent aux contrôles trop serrés des entreprises. Les autres projets de loi déposés par Josh Hawley par le passé n’ont d’ailleurs jamais attiré beaucoup de sympathisants, et le sénateur de 39 ans est critiqué autant à droite qu’à gauche.

Certaines mesures proposées dans le SMART Act pourraient aussi faire très mal à de nombreuses entreprises, qui combattraient le projet farouchement s’il venait qu’à gagner en crédibilité. Le sénateur Hawley propose par exemple que les réseaux sociaux soient limités à une utilisation de 30 minutes par jour seulement par défaut. L’utilisateur pourrait repousser cette limite ou l’enlever complètement, mais celle-ci retomberait à 30 minutes chaque premier jour du mois. L’impact financier pour un réseau comme Facebook se chiffrerait vraisemblablement en milliards de dollars annuellement.

Voilà des mois que des régulateurs partout dans le monde considèrent mieux encadrer les réseaux sociaux, qui agissent en toute impunité depuis maintenant plus d’une décennie. Le projet de loi américain ne verra probablement pas le jour, mais il sème l’idée qu’il pourrait être possible, et possiblement souhaitable, de s’attaquer à autre chose que l’utilisation des données personnelles lorsque ce sera le temps d’un retour de balancier.