what3words : trois mots pour se retrouver

Perdu dans la nature ? Coincé au milieu d’un grand parc avec une cheville foulée ? Une application qui permet de transmettre sa position précise gagne en popularité auprès des services d’urgence au Canada. 

Le service what3words permet de retrouver n’importe quel endroit sur terre à l’aide de trois mots. (Photo : what3words)

dinde.clouant.classeur : ces trois mots correspondent à un secteur précis de neuf mètres carrés situé au bord du lac Goldie, dans le parc provincial Mount Seymour, à l’extérieur de Vancouver. C’est l’endroit où, en mars dernier, un randonneur blessé a été forcé d’appeler le 911 pour qu’on lui vienne en aide.

« Il croyait être au nord du lac, mais en fait il était complètement au sud. Avoir sa localisation précise nous a permis d’être beaucoup plus efficaces dans nos recherches qu’on l’aurait été auparavant », explique Kelly Lalani, répartitrice pour le BCEHS, les services d’urgence santé de la Colombie-Britannique.

Ces trois mots proviennent de what3words, un service qui a divisé la carte du monde en 57 milliards de milliards de cases. Trois mots suffisent pour déterminer chacun de ces espaces de trois mètres sur trois mètres, que ce soit la croix du mont Royal à Montréal (plaire.ravi.glaneur), le sommet de la pyramide de Khéops (muter.noisette.moustique) ou une fosse où la pêche à la truite est miraculeuse dans le parc de La Vérendrye (on ne dévoilera tout de même pas ce secret). 

L’emplacement en Colombie-Britannique où un randonneur s’est blessé en mars dernier. (Capture d’écran : Maxime Johnson)

« L’idée m’est venue quand je travaillais dans l’industrie de la musique et que j’avais toujours de la difficulté à communiquer l’emplacement des entrées que les musiciens devaient utiliser », se rappelle Chris Sheldrick, cofondateur et directeur général de what3words. « Je donnais des coordonnées GPS, mais celles-ci sont difficiles à transmettre. J’ai donc essayé de trouver une façon plus simple de dire sa position », ajoute le directeur général.

Dicter la longitude et la latitude d’un emplacement est fastidieux, et il est facile de se tromper. Mais si l’on donne trois mots, même un enfant sera capable de les retenir. Et le système a été conçu pour réduire les risques d’erreurs, car il permet d’écrire les mots au pluriel ou non, et même de les remplacer par des synonymes. 

« On ne veut pas que les utilisateurs aient besoin de demander d’épeler les mots », explique Chris Sheldrick. Chaque carré de terre peut être déterminé en 45 langues différentes, mais les parcelles d’océan, elles, ne correspondent qu’à des mots anglais. Pour cette raison, 25 000 mots ont été nécessaires pour créer what3words en français, et 40 000 en anglais.

Un service polyvalent 

Le système de localisation lancé en 2013 a rapidement pris de l’ampleur. Le service est encore peu connu au Canada, et encore moins au Québec, mais what3words est utilisé quotidiennement par des millions de personnes partout dans le monde. Au Royaume-Uni, des fermiers s’en servent pour transmettre la position de certains équipements, et des groupes d’ornithologues l’utilisent pour indiquer aux autres où repérer certains spécimens. L’application what3words a même été adoptée par les services postaux en Mongolie afin de pallier un système d’adresses déficient.

On retrouve des adresses what3words dans des guides de parcs naturels, afin d’aider les visiteurs à localiser des attraits touristiques. Certaines voitures, comme la Mitsubishi Eclipse Cross 2022 au Canada, sont programmées pour guider le conducteur vers n’importe quelle coordonnée what3words, même sans connexion Internet. En Amérique du Sud, une filiale d’Uber utilise ce système pour indiquer l’endroit exact où les clients souhaitent être cueillis ou déposés, ce qui peut être pratique pour s’assurer que le conducteur nous trouvera près d’une porte précise d’un centre d’achats, par exemple.

Un outil pour les services d’urgence

Depuis 2018, what3words est aussi utilisé par plusieurs services d’urgence dans le monde. Au Royaume-Uni, où l’entreprise est située, ce sont désormais 85 % des services de police et d’ambulance qui l’utilisent. Au Canada, il est employé dans plus de 42 centres de communication d’urgence, dont trois au Québec : le Centre d’appels d’urgence de l’Abitibi-Témiscamingue, le Service de sécurité incendie de la Ville de Mont-Tremblant et la Centrale des appels d’urgence Chaudière-Appalaches (CAUCA).

Contrairement à ce que certains pourraient croire, les opérateurs du 911 n’ont pas accès aux coordonnées GPS des personnes qui les appellent par cellulaire (cela viendra avec la prochaine génération du système informatique).

« On a parfois accès à une position approximative en faisant de la triangulation avec les tours cellulaires. Mais ce n’est pas très précis. Parfois, l’appelant se trouve dans un rayon de 80 km », note Francis Tanguay, directeur des technologies et gestionnaire de produits pour CAUCA et sa division CITAM (Centre d’impartition et de traitement des appels municipaux).

Lorsque quelqu’un n’est pas à une adresse précise (sur une autoroute lors d’un accident, par exemple), la localisation peut-être ardue. L’application what3words simplifie cette étape. « L’appelant peut donner sa position s’il a déjà l’application, mais habituellement, on va plutôt lui envoyer un lien par texto. Il n’a qu’à le suivre et à lire les trois mots qui vont s’afficher sur son téléphone », explique Francis Tanguay.

Le preneur d’appels en centrale n’a alors qu’à entrer ces trois mots dans son système pour connaître l’emplacement de l’appelant et le transmettre aux premiers répondants. 

Même si ce n’est pas essentiel de le faire pour profiter de what3words en cas d’urgence, Francis Tanguay invite les gens à se familiariser avec le service, afin d’économiser de précieuses minutes en cas d’accident. 

En attendant le 911 de prochaine génération

L’arrivée des services 911 de prochaine génération, dont le déploiement doit être complété d’ici l’été 2024 au Canada, pourrait changer un peu la donne. Les services d’urgence auront à ce moment accès à la position GPS des appelants, ce qui devrait simplifier leur localisation.

« Nous allons toutefois continuer d’utiliser what3words, car c’est un outil de plus dans notre coffre, note Francis Tanguay. Dans les situations où la position n’est pas connue du 911, c’est important d’avoir un plan B sous la main rapidement, pour ne pas perdre de précieuses secondes. » 

Il faut aussi dire que what3words est gratuit pour les consommateurs et les services d’urgence, mais pas pour les entreprises qui l’intègrent à leurs produits. « On y voit rapidement la valeur ajoutée », observe Francis Tanguay.

Pour le directeur des technologies, il ne fait aucun doute que « cet outil va permettre de sauver des vies, ce n’est qu’une question de temps ».